jeudi 21 mars 2013

Ne laissez pas vos ennemis s'unir.


Ressortie en blu-ray du film épique de John Woo, Les Trois Royaumes dans une jolie édition intégrale reprenant les deux montages du film. Il était temps, la première édition atteignait des prix astronomiques en seconde main.

Lors de sa sortie en Occident, ce film chinois avait été présenté dans un montage de 2H30 pour ne pas rebuter le spectateur. Hors, en Chine, ce film a été présenté en deux fois (à la manière de Kill Bill chez nous) pour atteindre une durée de près de 5h.
D’où l’émergence d’une méthodologie pour la rédaction de cette chronique : devais critiquer le film présenté chez nous où directement attaqué la version intégrale ? Et devais présenter chaque partie séparément ou comme un tout homogène ? La solution que j’ai choisie est de critiquer les deux parties en une seule fois : contrairement aux chinois, je n’ai pas attendu 6 mois entre chaque sortie, c’est donc d’un bloc que j’ai vu le film. Pas de bol, Woo a pensé son montage comme deux films se suivant mais en n’hésitant pas à leur donner une identité propre à chacun.

L’histoire est assez simple : La Chine, en 208 après J.C, est sous le contrôle de la dynastie Han. Bien qu’unis sous la bannière impériale, la Chine est divisée en trois parties. Le premier ministre Cao Cao, pour assouvir sa soif de pouvoir, convainc l’empereur que les deux autres « nations » sont en rébellion contre lui. Face à un ennemi commun, celles-ci s’allient pour ne pas tomber sous la coupe de Cao Cao. Mais ce dernier fait-il la guerre pour le pouvoir…ou pour une femme, tel un Ménélas ?




Il faut savoir que l’histoire des trois royaumes est à la base un roman classique en Asie. C’est un texte important qui est lu aussi bien en Chine qu’au Japon par exemple (et l’on connait les antagonismes qui peuvent agiter ses deux peuples). Pour le spectateur asiatique, le contexte du film est clair et lisible au premier coup d’œil ! C’est d’ailleurs sans doute pour ça que certains ont décrit ce film comme une branlette nationaliste, oubliant que ce même schéma se répète chez nous avec certains films historiques ! Mais je m’égare.
La première demi-heure est donc assez lourde : il faut identifier les protagonistes ( dont les noms sont loin d’être simple, sans compte que l’inversion prénom-nom n’arrange pas toujours les choses, du moins en V.O. Et suivre du mandarin quand on ne connaît pas la langue…faut s’accrocher aux sous-titres ! ), leur allégeance, etc…
Une fois la situation bien posée, le film gagne en fluidité : les intrigues politiques et d’alliances coulent de source et tout est clair comme de l’eau du Yang-Tsé ( du moins à l’époque, de nos jours, c’est plus le Gange que le Yang-Tsé) ! Et le tout est saupoudré d’amour et d’humour sans en faire trop ni être gnangnan !


Comme il s’agit d’un récit que l’on pourrait qualifier de « mythologique », certains éléments sont un peu capilotractés , comme le fait de tenir une conversation par cithare interposée ou encore de voir des héros  accomplir des prouesses physiques au-delà de la vraisemblance (ce que Wolfgang Petersen avait choisi d’effacer de Troie, pour le meilleur ou le pire selon votre degré d'appartenance aux puristes.Tentez d'ailleurs la version longue de ce péplum dont les ajouts, conséquents, pourraient vous faire voir le film d'une autre façon, tout comme le Alexander d'Oliver Stone ) : quand un personnage est réputé valoir 100 hommes, attendez vous à le voir dézinguer 100 gugusses facilement (même si cela se résume à un combat mano a mano avec les 99 autres qui exécutent une danse vaguement menaçante en attendant leur tour ).

Cette esbroufe visuelle n’empêche pas John Woo de mettre en œuvre des scènes plus réalistes, d’une rigueur militaire millimétrée et ce sans jamais se répéter dans sa manière de faire : que la  bataille soit rangée grâce à une formation inhabituelle, totale lors de l’assaut final ou encore navale lors d’une séquence anthologique, Woo ne sacrifie pas aux effets faciles.Oh il y aura bien des ralentis ( qui sont sa marque de fabrique, revoyez Volte/Face ) ou des zooms avant et arrière rapides ( mais cela reste un artifice de la grammaire cinématographique asiatique, il convient donc de ne pas trop l’analyser à l’occidentale) mais rien de vraiment dérangeant. Il livre d’ailleurs des images époustouflantes tant dans la barbarie guerrière que dans le calme de la vie privée des protagonistes : le sens du cadrage et de la mise en image est assez poussé, le tout rehaussé par une photo somptueuse qui offre des contrastes flatteurs pour l’œil !





Bien entendu, notre organe visuel ne pourrait en prendre autant dans la vue ( si j’ose dire ) sans une reproduction de qualité : les costumes et les décors (naturels ou non ) ont été soignés dans les moindres recoins. Un enchantement de tous les instants ! On sent où l’argent est passé !





Comme je le disais plus haut, Woo a donné une identité propre à ses deux parties. Rien de vraiment grave, juste quelques petites chipoteries (mais j’aime bien chipoter, je pense que ça se sait depuis le temps).
Ainsi, le premier film s’ouvre sur un générique en CGI lorsque le second voit son générique inclus à même les séquences filmées.
Lors du premier film, le montage utilise souvent la technique du fondu pour passer à une autre scène quand le second simule que l’image est une feuille de papier que se déchire. C’est aussi dans le second film que l’on retrouvera certaines idées de montages plus ébouriffantes mais très soignées (comme cet écran splitté car il suit la volée de plusieurs flèches tirées en même temps !).


Au final, pour peu que la façon de faire des asiatiques ne vous dérange pas, Les Trois Royaumes est une grande fresque guerrière qui ne pèse jamais sa longueur de 5 heures et dont l’aspect plus exotique permet non seulement de voyager dans le temps mais aussi dans un monde qui nous est moins familier (et donc plus intrigant). Vivement conseillé !

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