lundi 2 octobre 2017

Himmlers Hirn heißt Heydrich

L’Histoire avec un grand H n’est jamais qu’une grande ligne noire vue du ciel.
Mais à mesure que l’on se rapproche, on ne peut que constater que cette entité qui nous semblait simple et assez lisse est en fait une enchevêtrement de moyennes et de petites histoires.
La ligne noire est gravée d’une multitude de hiéroglyphes distincts.
Le battement d’ailes du papillon peut faire basculer le récit ou n’être qu’une anecdote. Mais rien n’est vraiment linéaire, tout n’est pas inscrit dans les livres ou la mémoire collective.
Ainsi, si des figures telles que Jefferson, Louis XVI, Staline ou Hitler naviguent dans la culture de la population, combien connaissent les noms et les actions de leurs proches collaborateurs ?
Les férus d’Histoires ne sont au final pas si nombreux que cela et le cinéma, média de masse par excellence, aime venir de temps dévoiler les branches et les feuilles du tronc de l’Histoire.
L’arbre ne se reconnait qu’à l’anatomie de son arborescence. Sans elle, il est nu !



C’est donc quelques branches de la Seconde Guerre Mondiale que va s’attaquer  Cédric Jimenez, qui avait réalisé La French, thriller français avec Jean Dujardin et Gilles Lelouche , traitant de la «  french connection » dans les années 70. Il replonge de nouveau dans le passé donc, en décidant de nous narrer l’opération Anthropoïde , un attentant allié contre le nazi Reinhard Heydrich, l’homme au cœur de fer, le cerveau de Himmler en personne.

Non dénué de talent et d’ambition, Jimenez s’entoure d’un casting international mais à prédominance anglo-saxonne pour son long-métrage à qui il prévoit une carrière mondiale.
Le scénario s’inspire du roman HHhH de Laurent Binet , dont l’originalité résidait dans la branlette intellectuelle résidant dans la technique d’écriture où l’auteur se mettait en scène, donnant par moment son opinion sur telle ou telle information historique ( une critique des sources n’est jamais une mauvaises choses ) et glissant sur des considérations personnelles ( n’y écrivait-il pas ses espoirs de voir un grand du cinéma américaine se pencher sur son livre ?  ) et critiques littéraires ( 20 pages , oui, 20, consacrée à descendre le roman Les Bienveillantes et que son éditeur a décider de faire sauter. Un journal américain a mis la main dessus et les a traduites si jamais cela vous intéresse).
Cédric Jimenez et ses scénaristes évacuent toutes références à Binet et se concentre sur l’histoire de Heydrich et celle de Jan & Jacob, les deux soldats au cœur de l’attentat contre le SS.

Au cinéma, nous sommes finalement peu habitués à ce que le Nazi nous soit présenté autrement que comme une entité à la limite du mythologique : il est iconique, habité d’une idéologie précise et malfaisante. Il pourrait aussi bien être un vampire ou un zombie. Il est. Point. Comme né d’une matrice nazie qui produirait ces hommes à la chaîne. Comment s’étonner dès lors de l’électrochoc d’un film comme Der Untergang qui présentait un Adolf Hitler humain ( dans le sens psychologique du mot ) ? Expliquer la monstruosité semblait être une hérésie totale, un tollé formidable fera au film une publicité phénoménale.
Pourtant, dès 1952, Robert Merle, dans son roman La mort est mon métier , s’était penché sur la question du basculement d’un homme vers l’idéologie nazie.
Car oui, expliquer n’est pas pardonner. Comprendre est la base absolue de tout raisonnement scientifique, que cela soit dans le domaine des sciences dure ou des sciences humaines ( dont fait partie la psychologie ). Démystifier l’entité « Nazi » est une nécessité , encore plus de nos jours ou des relents nauséeux portant son odeur ou des effluves sœurs pullulent de par le monde. Comprendre l’ennemi, c’est se donner les moyens de l’abattre.

Il est ici notable de constater que, lorsque ces questions sont abordées sous le prisme d'une fiction contemporaine ( La vague ) ou d'un genre considéré à tort comme moins noble (le fantastique et/ou la science-fiction ) , personne ne s'offusque. Comme si représenter le réel (ou du moins un réel passé mais néanmoins passé à la moulinette de l'art cinématographique qui n'est que farce et illusion ) pouvait parfois être un sacrilège. Pour les plus philosophes d'entre vous, tentez de comparer cette réaction outrée de certains avec le "devoir de mémoire", ça risque d'être croquignolet.

Or, si le fantastique et la SF sont si importants en tant que genres, c'est parce que leur faculté allégorique permet d'aborder presque tous les traumas sans avoir peur des tabous et en étant certain de ne pas offenser les victimes. S'attaquer à une réalité historique est donc un exercice délicat car , contrairement à Dark Vador, des victimes du nazisme vivent encore.

Jimenez va entamer son récit en nous présentant une sorte de matin idyllique. Des enfants jouent dans le parc d’une grande bâtisse. Un homme que l’on devine être leur père vient les attraper, les faire rire. Les laissant à leurs jeux d’enfants, cet adulte rentre par la grande porte et va s’habiller pour le travail. Son habit, une uniforme SS vient jeter un trouble. Ce père que l'on devine ou suppose aimant porte l’emblème du mal. Léger malaise. Non, gros, carrément.




Le film embrayera ensuite sur un flashback relativement long, le premier tiers du film, qui nous narrera par le détail qui il est et pourquoi il a adhéré au parti fondé par le petit autrichien barbu. Par la même, c’est le basculement d’une partie de l’Allemagne qui nous est comptée par la métaphore. Disgracié et humilité par la cour martiale devant laquelle il comparait, Heydrich est un peu à l’image du pays , affaibli sous le coup d’une humiliation : le traité de Versailles n’est pas loin. Ce document aura fait du mal au pays, la crise de 29 aura achevé le travail. Action-Réaction. La première loi de Newton s’applique à tout !





Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt 
Sur les ruines d'un champ de bataille 
Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens 
Si j'avais été allemand ? 

Bercé d'humiliation, de haine et d'ignorance 
Nourri de rêves de revanche 
Aurais-je été de ces improbables consciences 
Larmes au milieu d'un torrent 
( Jean-Jacques Goldman).

Introduit par sa femme, adhérente au parti, auprès d’Himmler, Heydrich intègre les SS et commence son ascension au sein des services de renseignements. Il y trouve un endroit où exprimer sa frustration sous la forme d’une violence de plus en plus grande. Plus son pouvoir grandi, plus il en usera de manière méthodique et inhumaine. Une véritable machine à tuer se met en place. Intelligent et rusé, il sera de ceux qui mettront sur pied la nuit des longs couteaux ( l’élimination des SA dont les SS dépendaient jusque-là ) et plus tard la solution finale sur les Juifs d’Europe. Hitler le nomme protecteur de la Bohème-Moravie et il part donc prendre ses quartiers à Prague.



Dans le rôle de cet homme frustré et finalement faible à qui le pouvoir a donné un échappatoire ( l’arme préférée et utilisée amoureusement par les médiocres ) , on retrouve Jason Clarke, acteur dont le visage apparait régulièrement sur les écrans mais dont le grand public ignore le plus souvent le nom. Grimé en Aryen pur jus, Clarke transpire son personnage par tous les ports et c’est avec regrets que l’on constatera quelques lignes de dialogues éparses venant sous-ligné ( comme s’il fallait encore le faire ) qu’il est le méchant de l’histoire dont l’ascension est rendue aussi passionnante que glaçante.
Glaçante comme Rosamund Pike ( Gone Girl ) dans le rôle d’une épouse qui finira délaissée et dépassée après avoir mis les pieds de son mari aux étriers du nazisme. Alors que la population souffre sous les coups de son mari (et de ses sbires ), sa psyché encaisse le comportement sadique d’un époux qu’elle pensait connaître, voire peut-être même contrôler. Action-Réaction.



Le second tiers du film est monté selon un parti-pris osé : le faire devenir un second rôle en retrait, soudain, le film nous narre l’entrainement de Jan et Josef, deux soldats tchécoslovaques qui seront envoyé en mission pour tuer Heydrich. Action-Réction.
Espionnage-Contre-Espionnage.

 Nos deux larrons surgissent dans le récit après près de 50 minutes de récit. Et si cette partie de l’intrigue est essentielle, elle nécessite que le spectateur refasse le même chemin qu’au début du film : découvrir des personnages et s’intéresser à eux.
Fort heureusement, Jimenez les plonge très vite dans une ambiance de suspens prenante qui nous fait nous attacher à eux avant de commencer à un peu les connaître. Le destin de ces nouveaux héros et de Heydrich se scellera lors d’une scène explosive qui donnera lieu au troisième acte, paradoxalement plus mou alors que peu avare en action, exactions et sacrifices humains à la cause résistante face à la barbarie hitlérienne. Plus chorale, cette partie de l'intrigue hérite du plus grand nombre de personnages secondaires mais pas d'assez de temps pour les développer pleinement. Ils sont essentiellement une fonction : résistant courageux, petite amie d'un héros, etc... Ce soudain manque de profondeur psychologique jure un peu avec la première partie qui en avait fait sa force motrice.




En choisissant de tourner en numérique sans tenter de donner un cachet «  pellicule de cinéma » à son film, Cedric Jimenez crée une atmosphère dérangeante. Son image n’est plus tant un écran de cinéma qu’une sorte de fenêtre réaliste vers la boucherie (les boucheries) .
Un montage astucieux sous forme de narration à la chronologie alternée et jouant sur les flashbacks vient créer une mécanique narrative intrigante qui va crescendo, jusqu’au 3éme acte donc, plus convenu mais néanmoins puissant émotionnellement.

Portrait psychologique passionnant de la création d’un monstre, récit de guerre et de résistance filmé sans esbroufe ( la violence est sale et sanglante ) mais non sans un sens de l’action cinématographique classique  , le film manque d’un point de vue : s’agit-il d’un drame précis ou d’une aventure guerrière haletante au suspens palpable qui aurait pris le temps et le soin de définir l'ennemi à abattre ?
L’entité finale est bicéphale et impersonnelle. Mais impossible de décrocher avant le générique de fin. Son efficacité réside dans son intrigue tentant de coller le plus près possible à la réalité des faits (et ce même si le cinéma , dans son obligation de narrer un récit , se doit de parfois romancer ou ajuster des détails pour ne pas se perdre en circonvolutions parasites ) et sa bipolarité filmique , une fois assimilée, doit sans aucun doute s’estomper lors de visionnages ultérieurs.

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